Le carnet
Trois jours, trois jours qu’il le suivait. Trois jours à rester dissimuler. Trois jours à supporter la pluie, la chaleur, les insectes. Mais tout ça n’était rien. Ce qui lui était le plus difficile à supporter était de suivre ce samouraï qui semblait indifférent à tous ces éléments.
Sa mission était claire : savoir où est-ce qu’il allait. Mais pour le moment la seule réponse qu’il avait était qu’il n’allait nulle part. Il semblait tourner en rond.
Le suivre était facile. Le claquement de son armure sur la selle de son cheval lui permettait de le repérer à la ronde. Il allait toujours au pas.
Il était massif, calme, droit.
Plusieurs fois, il avait eu l’impression d’avoir été repéré. Mais rien dans le comportement du samouraï n’avait changé. Savait-il ou ne savait-il pas qu’il était là, à l’épier ?
Trois jours, trois jours qu’il était suivi. Il s’était bien douté qu’il ne pourrait pas quitté la ville incognito. Et il savait que le shogun allait envoyer quelqu’un sur ses traces. Son intuition lui disait que c’était lui. Au détour d’un sentier, il avait senti son parfum. Il aurait pu s’arrêter, se retourner et l’inviter à faire le chemin avec lui. L’odeur de sa famille, de son frère. Un frère qu’il aurait aimé connaître plus. Un frère qui avait pris une autre voie. Un frère qui ne le connaissait même pas.
En trois jours, il avait pu apprécié la discipline exemplaire de ce samouraï. Chaque geste était mesuré. Chaque chose devait être à sa place. Chaque jour ressemblait à un rituel. Le soir, à la lumière du feu de bois, il écrivait dans son petit carnet.
En trois jours, il avait senti la nervosité du ninja monter. L’attente devait lui être de plus en plus insoutenable. Il aurait aimé cesser ce jeu et se diriger droit vers lui. Lui tendre la main et lui dire : « Nous ne sommes pas du même bord, mais nous sommes du même sang. » Mais il ne pouvait pas. Un jour viendra peut-être.
Au quatrième jour, il s’était réveillé en sursaut et constaté que le samouraï avait disparu. Son cheval, ses affaires n’étaient plus là. La fatigue l’avait rattrapé et il s’était endormi profondément, n’entendant même pas le samouraï partir. Il tendait l’oreille pour essayer d’entendre le clac de l’armure mais il n’entendait que les bruits de la forêt. Il s’approcha du campement. Sur un rocher, en évidence, le carnet. Il l’ouvrit et commença à lire, à la recherche d’indices sur sa prochaine destination. Le carnet racontait l’histoire du samouraï depuis sa plus tendre enfance, jusqu’à sa dernière bataille.
Il revint sur la première page et découvrit la dédicace : « Pour toi mon frère. » Et ajouté rapidement en travers de la page « Je n’ai jamais été aussi près de toi que pendant ces quelques jours ».
C’est lorsqu’il vit le dessin de la fleur que ces mains se mirent à trembler. Les lys étaient le seul souvenir qu’il avait de sa première famille, avant l’enlèvement. Leur odeur. Leur forme. La poudre de leur pistil.
Il a compris. Les circonstances sont pour le moment contre nous, mon frère, mais je ne désespère pas de voir le jour où nous serons réunis.
Il se retourna et s’enfonça dans les bois, en prenant soin de ne pas faire claquer son armure.