« Story a day » : 4 mai 2015

Pluie

Chemin boueux avec ciel menaçantQuoi qu’il arrive.
C’était ce que lui avait dit sa mère, en la regardant droit dans les yeux et en lui tenant le visage de ses deux mains tremblantes.

Quoi qu’il arrive.
La pluie dégoulinait de son chapeau en paille de riz. Ses sandales trempées et pleines de boue rendaient sa marche, à chaque pas, plus difficile.

Quoi qu’il arrive.
Ils étaient venus. Ils avaient tout détruit sur leur passage. Ouragan d’épées, de cris et de sang.

Quoi qu’il arrive.
Chaque fois qu’elle sentait le découragement, la tristesse et le désespoir l’envahir, elle serrait un peu plus fort le cylindre attaché à son cou.

Elle avait tout perdu et elle se raccrochait à l’ultime mission que lui avait donnée sa mère. Trouver l’empereur pour lui remettre le message. Comment ? Elle n’en avait aucune idée. Commencer par rejoindre la cité.

Elle marchait dans les sillons de son passé : toutes deux avaient maintes fois fait ce chemin pour aller vendre leurs tissus. Elle s’assit sur un rocher pour réparer une de ses sandales. Elle entendait encore leurs rires de la dernière fois où elles s’étaient arrêtées en ce lieu.

Le sentiment d’injustice lui vrillait le ventre. Elle aurait voulu comprendre les adultes. Savoir pourquoi des hommes en étaient arrivés à vouloir tuer d’autres hommes.

La pluie ne voulait pas s’arrêter. Elle envahissait le champ de vision, alourdissait les vêtements, gênait chaque pas. Mais la jeune fille continua tout de même.

Elle s’accrochait à ses souvenirs. Elle se rappelait tous les contes que lui avait racontées sa mère. Des renards, des singes, des dragons peuplaient l’univers qu’elle lui avait créé. Dans ce monde d’histoires, les morts n’étaient pas vraiment morts. Elle s’imagina alors le fantôme de sa mère l’accompagner pas à pas.

Un mouvement dans le buisson tout proche la fit sursauter. Elle s’approcha doucement intriguée. Elle vit un lapin détalé en zigzaguant. Derrière elle, elle entendit alors des hennissements. Elle se cacha rapidement derrière le buisson. Les cavaliers passèrent en trombe devant elle.

Quoi qu’il arrive.

Elle reprit son chemin longeant la forêt, prête à se cacher dans les fourrées au moindre bruit. Elle se sentait épuisée. La ficelle du cylindre contenant le message lui sciait le cou.
Un simple bout de parchemin qui était pourtant son salut. Mots qui – elle l’espérait ! – allaient arrêter les guerres. Son père et maintenant sa mère étaient partis. Elle hoqueta. Son chagrin voulait éclater. Elle tomba à genoux et pleura dans ses mains. Des larmes tièdes en comparaison aux gouttes de pluie. Des larmes rassurantes.

Elle sentit un souffle chaud sur son cou et se leva d’un bond. Le cheval qui l’avait reniflé rua. L’homme le rassura en lui tapotant l’encolure. Il sourit à la jeune fille et lui tendit la main pour qu’elle monte derrière lui.

Quoi qu’il arrive… mais elle ne savait plus ce qu’elle devait faire.
Faire confiance à cet étranger ? Ou décliner poliment son invitation ?
Il ne disait rien. Mais son sourire était confiant. Elle se souvint alors de ces moines qui font vœu de silence. Elle le regarda mieux : il n’avait pas l’air d’un moine. Les rides de ses yeux semblaient venir de son sourire. Il tendait toujours la main, patient. La pluie continuait de les mouiller.
Les yeux se posèrent sur la main : la manche du kimono dépassait de sa cape de pluie. Elle connaissait très bien ce motif. Elle se rappelait du croquis sur lequel sa mère avait passé tant de temps avant de le broder.
Elle lui prit la main. Humide et pourtant chaude.

Bercée par le pas du cheval, sa tête calée contre le dos de l’homme, la jeune fille pensait encore à sa mère. Elle se rappelait de ce kimono. Elle se rappelait de la mèche de cheveux collée à sa joue alors qu’elle était penchée sur son travail. Elle l’avait commencé un an, jour pour jour, après la disparition de son père. Elle se souvenait de ses froncements de sourcil et enfin de son sourire quand une fois qu’elle eut fini, elle admira le résultat. Ses yeux à ce moment-là avaient une étincelle qu’elle ne lui connaissait pas. Le même dragon que celui de ses histoires fabuleuses décorait le dos du kimono. Elle ne lui avait jamais dit pour qui elle l’avait réalisé. Un jour, il avait simplement disparu de l’atelier.
D’autres souvenirs lui vinrent. Les matins où elle avait entendu sa mère rentrer subrepticement en se glissant dans la maison. Où était-elle allée ? Peu lui importait car son sourire radieux et sa bonne humeur balayaient toutes les questions. Elle comprenait enfin.

Une veuve amoureuse.
Une deuxième flamme… qui se terminait de nouveau de façon tragique.

Elle serra plus fort l’homme qui l’avait aidé. Celui-ci arrêta le cheval. Il serra de ses mains celles qui l’étreignaient, tête baissé, sans se retourner. Ils restèrent un moment ainsi. Le soleil perça enfin les nuages.
Il reprit les rênes du cheval. La vie devait continuer… quoi qu’il arrive.


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