« Story a day » : 25 mai 2015

Sous le pont

Lumière floue dans la nuitIl ne savait plus depuis combien d’années il était sous ce pont. Le temps avait filé. Sa mémoire embrumée par l’alcool lui fait désormais souvent défaut.

Il a toujours son chapeau pointu qu’un élastique plusieurs fois réparé tente de maintenir sur sa tête. Il a un nez rouge qu’il n’enlève que très rarement. Et quand il l’enlève, la marque le fait tout de même encore passer pour un clown. Sa petite radio diffuse des airs entraînants. Il sourit tout le temps. Il lance de simples « bonjour » aux passants. Il ne veut pas les déranger outre mesure. Il ne veut pas de leur pitié. Il cherche juste cet instant de connexion. Un regard. Un sourire. Une pièce ou deux, pour survivre, aussi, bien sûr.
Des étudiants qui quittaient le quartier lui avaient donné un vieux matelas et cela faisait trois nuits qu’il dormait extrêmement bien. La douceur et le moelleux lui rappelaient sa vie d’avant.

Les contrats affluaient, de plus en plus de personnes étaient intéressées par la nouvelle technologie qu’il avait mis au point. Il travaillait jour et nuit. Même lorsqu’il s’endormait, il rêvait de ce qu’il avait à faire le lendemain. Et puis il n’avait pas compris. Tout était parti à vau-l’eau.
Sa fille était tombée gravement malade. Sa femme l’avait quitté. Son patron l’envoyait à l’autre bout du monde pour signer encore plus de contrats. Et lui ne se retrouvait plus dans ce travail qui était trop loin des rêves du petit garçon qu’il avait été. « Je travaillerai dans un cirque pour faire rire les gens ! », c’est ce qu’il répondait toujours aux grandes personnes qui lui posaient l’habituelle question « Tu veux faire quoi quand tu seras grand ? »

Sa fille était morte. Sa femme n’avait jamais donné de nouvelles. Lui, avait donné sa démission et tout lâché.
Et puis il avait trouvé par hasard, dans les jouets de sa fille, ce chapeau et ce nez de clown.

L’eau avait coulé sous ce pont depuis. Des personnes bien intentionnées avaient bien sûr essayé de le sortir de la rue. Mais il s’accrochait. Il se sentait bien plus vivant ici.
Car il retrouvait, chaque jour, dans le sourire des enfants, celui de sa fille tant aimée.


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