Maman, expatriée au Mexique, Cécile a, elle aussi, été confrontée au défi de gérer plusieurs langues au quotidien ! Elle partage aujourd’hui son expérience avec nous.

Bonjour Cécile ! Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs et décrire ta situation ?

Je suis mariée, j’ai 3 enfants de 17, 15 et 12 ans. J’ai vécu en tout 17 ans en expatriation et les 11 dernières années nous avons vécu au Mexique, en Chine et à nouveau au Mexique maintenant. Mon fils ainé est né en Espagne puis nous sommes rentrés en France et lorsque nous sommes repartis les enfants avaient 2, 4 et 6 ans. Ils sont allés à l’école internationale américaine de Querétaro où l’enseignement se fait en anglais et en espagnol. Ils ne parlaient aucune de ces deux langues, ni ne maîtrisaient le français vu leur âge. J’ai vite compris qu’ici le professeur de français ce serait moi! Je leur ai donc appris à lire et à écrire, l’école se chargeant des mêmes enseignements en anglais et en espagnol. J’ai rapidement compris aussi que le CNED français n’était pas fait pour nous: il s’agit d’une bonne méthode pour des enfants déscolarisés mais peu adaptée à des enfants qui ont déjà 8 heures de cours par jour du lundi au vendredi. J’ai alors tenté plusieurs méthodes, certaines existantes d’autres de mon cru.
Puis nous sommes partis à Shanghai et les enfants sont allés dans une école où le mandarin était obligatoire et de bon niveau, l’essentiel des cours étant en anglais. Finalement cette 4ème langue ne leur a pas posé de problème même si elle demande beaucoup plus d’investissement et de travail que les trois autres. Ils le parlent et l’écrivent maintenant.

Tu es arrivée à gérer 4 langues à la maison. Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées ?

La première difficulté rencontrée (ou plutôt erreur commise) fut de vouloir apprendre à lire et à écrire en français à mon fils cadet en même temps qu’il l’apprenait en anglais et en espagnol. Cela a été très perturbant pour lui…et pour moi. Lorsque ce fut le tour de ma fille j’ai attendu qu’elle maîtrise la lecture dans les deux langues et le français est alors venu naturellement. Finalement, lorsque l’on a la technique de lecture, on la transpose facilement dans une autre langue, surtout à cet âge.

Une autre difficulté fut de me procurer des livres en français et je dois reconnaître que bien des fois, faute d’en trouver…je les ai écrits! Notamment lors de l’apprentissage des sons et des doubles consonnes.

Enfin, il a fallu instaurer une certaine discipline familiale: « à la maison on parle français »! C’est réellement le seul endroit où mes enfants le parlent depuis 11 ans. En écoles internationales ou locale, on parle anglais ou la langue du pays même avec les copains francophones. La difficulté, que connaissent bien les familles expatriées, est que, tous les membres de la famille comprenant les deux ou trois langues, la conversation vire vite au charabia familial, un genre de langage où se mélangent les vocabulaires et où l’on se comprend tous. Et ce ne sont pas seulement les enfants qui utilisent cet « esperanto codé »! Sans pour autant court-circuiter le fond de la conversation, nous avons fait attention à parler vraiment français. Ce qui a sans doute enrichi leur vocabulaire.

En parlant de vocabulaire, mes enfants ne parlant français qu’à la maison, ils ont un vocabulaire plus restreint et ne connaissent pas, par exemple les expressions à la mode ou certains mots. Comme mon mari et moi lisons beaucoup, j’ai instauré la politique d’un livre en français par mois. Plus ou moins compliqué et volumineux selon les âges, les mois ou les envies du moment, et parfois ce fut vraiment symbolique! Maintenant ils lisent indifféremment dans les trois langues. Un peu moins spontanément en chinois…mais là, je n’interviens pas!

Comment as-tu réussi à faire cohabiter toutes ces langues sous le même toit ?

Finalement les langues cohabitent naturellement car à chaque interlocuteur, à chaque situation, dans chaque contexte une langue s’impose. Lorsqu’ils étaient petits et s’adressaient à moi en anglais ou en espagnol, je leur répondais juste en français. Peu à peu ils ne m’ont plus parlé qu’en français (mais je mentirais si je ne mentionnais pas les mots anglais ou espagnols qui se glissent encore de temps en temps dans la conversation). J’ai toujours pensé que ce qu’ils avaient à me dire était plus important que la façon de me le dire.
En revanche ils regardent leurs films dans la langue qu’ils souhaitent.

Quelles sont les ressources que tu as utilisées pour faire apprendre le français à tes enfants ?

Lorsqu’ils étaient petits je me suis beaucoup inspiré de Dr Seuss. C’était en anglais mais cela m’amusait de le transposer en français, c’est tellement marrant et ludique.
Lorsque j’avais besoin de méthode plus traditionnelle (certains apprentissages sont un peu barbares) je me suis beaucoup appuyé sur la collection Cahiers du jour Cahiers du Soir. C’est clair, précis, et surtout concis.
J’ai essayé de leur faire écrire le plus possible à leurs grands-parents, même quelques lignes. Selon les périodes cela a été plus ou moins suivi mais ils ont continué tous seuls en grandissant.
Nous avons beaucoup écouté de chansons et notamment Pierre Perret qui est une mine. C’est quand même plus sympa d’étudier en musique!
Nous avons aussi écrit des histoires ensemble et des paroles de chansons.
Et puis, parce que pendant un an, en Chine, j’en ai eu assez de jouer la maman et la maîtresse, nous avons trouvé une prof de français jeune et dynamique qui a pris le relais, ça fait du bien parfois!

Quels conseils donnerais-tu aux parents qui éprouvent des difficultés à entretenir le français à la maison ?

Allez-y tout doux! On a l’impression que si à 5 ans ils ne parlent pas très bien français, leur vie scolaire est fichue, le retour en France sera catastrophique! Les enfants sont surprenants et apprennent une langue lorsqu’ils ont besoin de l’utiliser. Il ne faut pas oublier que c’est un outil de communication, en aucun cas un sujet de communication.
Les trois conseils que je retirerais de mon expérience, maintenant que mes enfants sont grands sont:

– À la maison c’est français! Je sais que c’est plus compliqué dans le cas de couples binationaux. Dans ce cas-là on parle avec chaque parent sa langue maternelle. C’est parfois un peu compliqué mais cela donne de bons résultats sans trop d’efforts.

– Ne pas faire détester le français! C’est un peu ce vers quoi nous tendions lorsque nous avons commencé avec le CNED, c’était l’heure de torture et ils l’assimilaient vraiment à la langue qu’ils étudiaient.

– Donnez-leur du temps! Ce n’est pas la langue qu’ils pratiquent le plus. En France nous n’exigerions pas de nos enfants qu’ils parlent parfaitement anglais, n’est-ce pas?

Aurais-tu un « mot de la fin » ?

Vaut-il mieux baragouiner plusieurs langues ou en parler parfaitement une seule? C’est la question que je me suis posée. Aujourd’hui mes enfants sont quadrilingues, le français n’est pas leur langue la plus naturelle mais ils ont une telle facilité pour apprendre encore d’autres langues et pour communiquer que je crois avoir trouvé ma réponse.

Cécile Gylbert
« Les Enfants Expatriés: Enfants de la Troisième Culture »
Les Editions du Net, 2014

Un grand merci à toi, Cécile, pour nous avoir fait partager cette belle expérience et nous avoir donné de précieux conseils !